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9/06/20

Licenciement par rupture conventionnelle dans la fonction publique : quelles opportunités ?

L’article 72 de la Loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique permet à l’administration et à ses agents de convenir ensemble des conditions de cessation des fonctions par un dispositif expérimental de rupture conventionnelle applicable du 1er janvier 2020 au 31 décembre 2025. Inspiré du mécanisme de rupture conventionnelle tel qu’il est connu en droit privé du travail, le régime de la rupture conventionnelle dans la fonction publique et de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle sont respectivement précisés par les décret n° 2019-1593 et 2019-1596, tous deux du 31 décembre 2019.

Le dispositif ainsi institué est applicable aux agents titulaires et contractuels en CDI relevant des trois piliers de la fonction publique dans les conditions posées :

  • aux articles 49-1 et suivants du décret modifié n° 86-83 du 17 janvier 1986 pour les agents de la fonction publique d’Etat ;
  • aux articles 49 bis et suivants du décret modifié n°88-145 du 15 février 1988 pour les agents de la fonction publique territoriale ;
  • aux articles 45-2 et suivants du décret modifié n° 91-155 du 6 février 1991 pour les agents de la fonction publique hospitalière.

Le mécanisme de licenciement par rupture conventionnelle se présente comme une opportunité tant pour les autorités de recrutement que pour leurs agents en ceci notamment qu’il répond tout à la fois aux objectifs de célérité, de souplesse et d’efficacité et qu’il peut permettre d’éviter des situations conflictuelles potentiellement génératrices de contentieux.

C’est l’objet du présent article que de rappeler les modalités de sa mise en œuvre (1.), les marges de manœuvre qu’il autorise (2.) ainsi que les conséquences pratiques qu’il revêt (3.). Une attention particulière doit par ailleurs être portée quant à son usage dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (4.).

  1. Quelles modalités de mise en œuvre ?

Les textes ont entendu répondre à un impératif de célérité se traduisant par une mise en œuvre simplifié du mécanisme de licenciement par rupture conventionnelle.

La procédure peut ainsi être engagée à l’initiative de l’agent comme de celle de l’autorité dont il relève, sous réserve que la rupture ne soit jamais imposée par l’une ou l’autre des parties. La demande prend alors la forme d’une lettre recommandée avec accusé de réception ou remise en main propre contre signature. Lorsque la demande de licenciement par rupture conventionnelle émane de l’agent, la lettre est adressée, au choix de l’intéressé, au service des ressources humaines ou à l’autorité de recrutement.

Le mécanisme ne peut cependant trouver à s’appliquer dans quatre hypothèses distinctes. Ainsi en va-t-il (1) des agents en période d’essai, (2) en cas de licenciement ou de démission, (3) des agents ayant atteint l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite et justifiant d’une durée d’assurance permettant d’obtenir la liquidation d’une pension de retraite à taux plein ainsi (4) que des fonctionnaires détachés en qualité d’agents contractuels.

L’impossibilité de recourir à la rupture conventionnelle lors du licenciement d’un agent suppose que l’administration ne peut en principe renoncer à une procédure de licenciement déjà engagée pour lui préférer le mode de rupture nouvellement institué. Il appartient par conséquent à l’autorité de recrutement de mener une réflexion en amont afin de déterminer le mode de rupture qui lui semble être le plus approprié.

Lorsque l’administration entend donner suite à une demande de rupture conventionnelle, l’autorité dont relève l’agent est tenue d’organiser un entretien au moins dix jours francs et au plus un mois après la réception de la lettre de demande de rupture conventionnelle.

Si les textes ne précisent pas les modalités de déroulement de cet entretien, il reste loisible aux services de l’administration d’instituer ce dernier dans des conditions proches de celles d’un entretien préalable au licenciement. A cet égard, l’agent a droit au cours de l’entretien de se faire assister par un conseiller désigné par une organisation syndicale représentative de son choix. Toutefois, l’entretien dans le cadre d’une rupture conventionnelle ne doit pas se tenir dans le seul intérêt de l’agent, mais dans celui des deux parties à la future convention de rupture. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les textes prévoient que l’entretien porte principalement sur (1) les motifs de la demande et le principe de la rupture conventionnelle, (2) la fixation de la date de fin du contrat, (3) le montant envisagé de l’indemnité spécifique et (4) les conséquences de la rupture conventionnelle (bénéfice de l’assurance chômage, obligation de remboursement, etc.).

Si la mise en œuvre d’un licenciement par rupture conventionnelle obéit à des règles procédurales fondamentalement simples dont le régime sera précisé par la jurisprudence à venir, le procédé repose avant tout sur une logique de concertation aboutissant à une solution négociée qu’il convient de sécuriser juridiquement dans l’intérêt de chacune des parties.

  1. Quelle marge de négociation ?

Parce qu’elle repose sur une logique de concertation, la rupture conventionnelle offre aux parties une souplesse aussi appréciable qu’opportune dans le contenu de l’accord de rupture.

L’indemnité de licenciement – lorsqu’elle est due – reste en effet déterminée par les dispositions réglementaires dans l’hypothèse d’une procédure de licenciement classique, l’administration et l’agent disposent d’un levier de négociation dans la détermination de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle.

Il est par ailleurs loisible aux parties de convenir ensemble, et parallèlement à la conclusion de la convention de rupture, d’un accord de nature transactionnel visant notamment à indemniser l’agent des préjudices qu’il pourrait avoir subi du fait de cette rupture.

Pour autant, la liberté accordée aux parties est loin d’être absolue.

La conclusion de l’accord de rupture est en effet subordonnée à des exigences de forme et de délai.

En premier lieu, les textes imposent aux parties de définir l’indemnité spécifique de rupture et de fixer, notamment, la date de fin de contrat de l’agent qui intervient au plus tôt un jour après la fin du délai de rétractation.

En deuxième lieu, la convention de rupture est établie selon le modèle défini par l’arrêté du 6 février 2020 pris en application du décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique.

En troisième et dernier lieu, la signature de la convention ne peut avoir lieu moins de quinze jours francs après le dernier entretien, à une date arrêtée par l’autorité dont relève l’agent ou l’autorité investie du pouvoir de nomination ou son représentant.

Au-delà des exigences de forme et de délai, c’est aussi le calcul de l’indemnité spécifique que les textes sont venus encadrer. Le décret n° 2019-1596 du 31 décembre 2019 prévoit ainsi que le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être compris entre des montants plancher et plafond.

Le montant de l’indemnité spécifique ne peut en effet être inférieur aux montants suivants :

  • un quart de mois de rémunération brute par année d’ancienneté pour les années jusqu’à dix ans ;
  • deux cinquièmes de mois de rémunération brute par année d’ancienneté pour les années à partir de dix ans et jusqu’à quinze ans ;
  • un demi mois de rémunération brute par année d’ancienneté à partir de quinze ans et jusqu’à vingt ans ;
  • trois cinquièmes de mois de rémunération brute par année d’ancienneté à partir de vingt ans et jusqu’à vingt-quatre ans.

Il ne peut par ailleurs excéder une somme équivalente à un douzième de la rémunération brute annuelle perçue par l’agent par année d’ancienneté, dans la limite de vingt-quatre ans d’ancienneté.

Du reste, ces dispositions pourraient faire l’objet de difficultés d’interprétation. D’aucuns considéreront en effet que la référence aux années d’ancienneté implique la prise en compte des années d’ancienneté dans la fonction publique et non au titre du dernier poste occupé. Mais une telle lecture ne devrait pas résister à l’analyse. La règle du paiement après service fait ainsi que l’interdiction faite aux personnes publiques de payer une somme qu’elles ne doivent pas paraissent en effet s’opposer à une lecture trop permissive des dispositions réglementaires.

Il convient par ailleurs de préciser que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle est exonérée d’impôt sur le revenu selon les modalités applicables dans le secteur privé (article 5 de la loi n° 2019-1579 du 28 décembre 2019 de finance pour 2020 – article 80 duodecies du CGI).

L’indemnité spécifique de rupture conventionnelle est exclue de l’assiette des cotisations sociales dans les limites fixées par l’article L. 241-3 du Code de la sécurité sociale.

  1. Quelles conséquences ?

Afin de protéger les parties des conséquences de leurs choix, les textes confèrent à l’agent comme à son administration de rattachement un droit de rétractation.

Ce droit s’exerce dans un délai de quinze jours francs, qui commence à courir un jour franc après la date de la signature de la convention de rupture conventionnelle, sous la forme d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou remise en main propre contre signature. En l’absence de rétractation de l’une des parties dans ces délais, le contrat prend fin à la date convenue dans la convention de rupture.

La conclusion de l’accord de rupture fait peser une obligation de remboursement sur les agents qui, dans les six années suivant la rupture conventionnelle, sont recrutés en tant qu’agent public pour occuper un emploi au sein de la même administration. Ces agents sont en effet tenus de rembourser à cette dernière, au plus tard dans les deux ans qui suivent leur recrutement, les sommes perçues au titre de l’indemnité spécifique de la rupture conventionnelle. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les textes prévoient que préalablement à leur recrutement, les candidats retenus pour occuper, en qualité d’agent public, un emploi dans une administration, adressent à l’autorité de recrutement une attestation sur l’honneur qu’ils n’ont pas bénéficié, durant les six années précédant le recrutement, d’une indemnité spécifique de rupture conventionnelle, de cette administration.

Cette obligation est particulièrement remarquable pour les agents de la fonction publique territoriale puisqu’elle vise tout réemploi au sein de la même collectivité territoriale « ou d’un établissement public en relevant ou auquel appartient la collectivité ». Sont ainsi notamment concernés les établissements publics locaux (SEM, SPL, etc.) au sein desquels la collectivité détient la majorité du capital.

Enfin, il doit être signalé que la convention de rupture est un contrat administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux par l’une ou l’autre des parties dans un délai de deux mois à compter de sa conclusion.

  1. Rupture conventionnelle et crise sanitaires : quelles précautions ?

Les textes adoptés dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire sont restés sans incidence sur la mise en œuvre et le déroulement des procédures de licenciement.

L’article 1er de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période a toutefois institué une prolongation des délais et mesures qui ont expiré ou qui arrivent à terme entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

Or, l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 a modifié l’ordonnance précitée du 25 mars 2020 afin que le mécanisme de prolongation des délais s’applique au délai de rétractation fixé au titre de la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique.

Le délai de rétractation de quinze jours est donc suspendu.

Ce délai reprendra à compter du premier jour du deuxième mois qui suivra la fin de la période d’état d’urgence sanitaire.

Il convient par conséquent d’attirer l’attention des personnes publiques sur le fait que la suspension du délai de rétractation implique que l’administration de rattachement ne peut pendant cette période, radier un agent des effectifs, et ceci quand bien même la convention de rupture conventionnelle serait déjà signée.

Nombreuses, enfin, sont les personnes publiques à s’interroger sur la possibilité d’instituer un entretien préalable à une rupture conventionnelle par un procédé de visio-conférence afin de garantir la distanciation sociale et de mettre en œuvre les gestes barrières au sein des services. L’organisation d’un entretien suivant un tel procédé nous semble régulier en raison de la logique de concertation qui commande la rupture conventionnelle. Dans ce cas en effet, l’agent peut être regardé comme ayant consenti à l’usage d’un procédé de visio-conférence du seul fait d’avoir accepté – ou initié – le licenciement par rupture conventionnelle.

Auteurs

Anne-Claire Muller-Pistré, Avocat associée
Steeve Batot, Avocat

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