Décryptages
24/06/20
Décision du Conseil constitutionnel sur la loi Avia : un strike juridique

Le désaveu est sanglant. Sur les 9 principaux articles de loi, 7 sont considérés comme non conformes à la Constitution, essentiellement à l’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Il faut dire que l’objectif était audacieux : renforcer les dispositions de lutte contre les contenus considérés comme « haineux » sur Internet en créant un nouveau droit à destination des « plateformes », en augmentant les pouvoirs de l’autorité administrative et en positionnant le CSA comme l’autorité de contrôle d’internet.
Ces trois objectifs sont battus en brèche.
Sur la création de nouvelles obligations pour les « plateformes » l’ambition était claire : Créer de toute pièce des obligations pour certaines de ces plateformes en ajoutant un article 6.2 à la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
Pour simplifier, ces plateformes étaient tenues de réagir à n’importe quelle notification d’un contenu contrevenant « manifestement » à une série d’infractions(*) sous 24h en s’exposant à une sanction de 250.000 €.
En résumé, le Conseil constitutionnel considère que :
– le risque est si important pour les plateformes qu’il y a fort à craindre qu’elles ne pratiquent une politique de suppression systématique ce qui serait contraire à la liberté d’expression ;
– dans de nombreux cas la légalité même de ces contenus est complexe et relève de la compétence du juge ;
– à la différence des « hébergeurs » et « fournisseurs d’accès » ces nouvelles obligations pour les plateformes n’étaient contre balancées par aucun régime de responsabilité spécifique.
Dans la foulée, le conseil constitutionnel censure quasiment tout le reste de la loi. Dans la mesure où l’article 6.2 est censuré c’est tout le reste des articles qui suivent par effet cascade :
– l’article 3 qui venait compléter l’article 6.2 par un article 6.3 conférant un certain nombre de droits à des associations reconnues d’utilité publique dont l’objet est la protection des enfants ;
– les articles 4 et 5 qui constituaient ensemble un article 6.3 nouveau pour la LCEN. Cet article 6.3 imposait aux plateformes, pour bien appliquer l’article 6.2, de mettre en œuvre une organisation et des procédures adaptées :
– l’article 7 qui confiait au Conseil supérieur de l’audiovisuel le soin de veiller au bon respect des nouvelles obligations imposées aux plateformes au titre de l’article 6.3. L’article 6.3 tombant, les sages estiment à juste titre que les nouveaux pouvoirs du CSA n’ont pas lieu d’être.
Le Conseil considère également non conforme les dispositions de nature à renforcer les droits de l’autorité administrative vis-à-vis des éditeurs, des hébergeurs et des fournisseurs d‘accès. Il faut dire qu’il leur était demandé de réagir dans un délai de … 1 heure avec un risque de sanction de 1.250.000€ pour les personnes morales.
Pour les plus matheux d’entre vous, vous aurez compté que deux articles ont survécu au désastre :
– l’article 2 qui modifie de manière non substantielle la procédure de « notification hébergeur » ;
– l’article 6 qui, lui, fera sans doute réfléchir les hébergeurs puisque la sanction pour non-respect de la notification passe de 75.000€ à 250.000€, soit pour une personne morale de 375.000 à 1.250.000€.
Le plus grave dans toute cette affaire est que l’objectif était légitime. Qui peut en effet être « contre » la lutte contre les contenus manifestement illicites sur Internet ? Mais la démarche était mauvaise, dogmatique, qui consistait à stigmatiser les plateformes et à imposer à l’ensemble des acteurs (éditeur, hébergeur, plateforme, FAI, …) des mesures aussi difficiles à mettre en œuvre que disproportionnées.
Pourtant nous étions très nombreux à avoir annoncé ce désastre et plaidé pour une véritable réforme de la LCEN.
Ceux qui sont au cœur du droit de l’internet, juristes, avocats et magistrats seront-ils entendus et même écoutés, sait-on jamais !
– apologie à la commission de certains crimes ;
– provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap ou de provocation à la discrimination à l’égard de ces dernières personnes ;
– contestation d’un crime contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ;
– négation, minoration ou banalisation de façon outrancière de l’existence d’un crime de génocide, d’un autre crime contre l’humanité que ceux précités, d’un crime de réduction en esclavage ou d’exploitation d’une personne réduite en esclavage ou d’un crime de guerre lorsque ce crime a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale ;
– injure commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ou envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap ;
– harcèlement sexuel ;
– transmission d’une image ou d’une représentation d’un mineur lorsque cette image ou cette représentation présente un caractère pornographique ;
– provocation directe à des actes de terrorisme ou d’apologie de ces actes ;
– diffusion d’un message à caractère pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.
Auteurs
Eric Barbry, Avocat associé
Esther Dadoun, Elève avocat
Avocats concernés :