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24/06/25
Devoir de vigilance

Par un arrêt particulièrement structurant, la Cour d’appel de Paris a confirmé le 17 juin 2025 la décision du tribunal judiciaire de Paris ayant enjoint à La Poste de réviser son plan de vigilance sur plusieurs volets essentiels, au regard des obligations issues de l’article L.225-102-4 du Code de commerce (devenu L.225-102-1 en 2025).
Pour rappel :
Le devoir de vigilance s’applique aux sociétés françaises :
- employant au moins 5 000 salariés en leur sein et dans leurs filiales directes ou indirectes dont le siège est en France,
- ou employant au moins 10 000 salariés au total avec leurs filiales, y compris celles ayant leur siège hors de France.
Les entreprises concernées doivent établir, publier et mettre en œuvre un plan de vigilance comportant les mesures raisonnables propres à :
- identifier et prévenir les risques d’atteinte grave :
- aux droits humains et libertés fondamentales,
- à la santé et à la sécurité des personnes,
- à l’environnement,
- …résultant des activités de :
- la société elle-même,
- ses filiales,
- ses sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels elle entretient une relation commerciale établie.
Le plan doit inclure :
- une cartographie des risques (hiérarchisée et actualisée) ;
- des procédures d’évaluation des sous-traitants/fournisseurs au regard de la cartographie des risques ;
- des actions adaptées d’atténuation ou de prévention ;
- un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements, établi en concertation avec les parties prenantes ;
- un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité.
La décision
La Fédération SUD-PTT reprochait à La Poste des manquements significatifs dans la formalisation et la mise en œuvre de son plan de vigilance 2021.
La cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 5 décembre 2023, premier jugement statuant sur le fond en la matière. Elle enjoint La Poste de compléter son plan de vigilance sur quatre des cinq mesures obligatoires :
- Cartographie des risques
La cartographie des risques de La Poste est jugée non respectueuse des exigences légales. La cartographie doit mettre en évidence les risques réels et potentiels les plus graves et les plus susceptibles de se produire au regard de l’activité des sociétés concernées. Le plan doit alors hiérarchiser les risques.
Par ailleurs, le plan doit contenir une véritable analyse des risques et non seulement faire état de leur évolution globale.
- Évaluation des sous-traitants
Les procédures d’évaluation des sous-traitants doivent être directement liées aux risques identifiés dans la cartographie.
Si la cartographie est imprécise, inévitablement, l’évaluation basée sur cette cartographie le sera également.
- Mécanisme d’alerte et de recueil des signalements
Un mécanisme d’alerte doit être élaboré en concertation effective avec les organisations syndicales représentatives. Une simple information ou consultation a posteriori est insuffisante.
D’après l’arrêt d’appel, la concertation suppose en amont de l’élaboration du mécanisme d’alerte :
- une transmission d’éléments d’information ;
- un échange de points de vue et de propositions sur la rédaction du contenu et la mise en œuvre du mécanisme à établir.
- Dispositif de suivi des mesures de vigilance
Le plan doit démontrer la mise en œuvre concrète et l’impact des mesures prises dans le cadre du plan. La présentation d’indicateurs sociaux et environnementaux généraux est insuffisante.
Ce compte-rendu sert de bilan pour orienter l’action en matière de vigilance.
Et demain ?
La Directive (UE) 2024/1760 (dite « CS3D ») du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité prévoit une extension progressive du devoir de vigilance :
- à partir de 2027 aux entreprises de plus de 5 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 1 500 millions d’euros;
- à partir de 2028 aux entreprises de plus de 3 000 employés et réalisant un chiffre d’affaires mondial de plus de 900 millions d’euros;
- à partir de 2029 aux entreprises de plus de 1 000 salariés avec un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros).
La Directive s’étant largement inspirée des dispositions françaises, le contenu du devoir de vigilance de l’article L.225-102-1 du code de commerce ne devrait pas être bouleversé à la suite de la transposition.
L’élargissement de l’obligation de mise en place du plan de vigilance aura inévitablement pour conséquence un accroissement du contentieux en la matière avec pour intérêt de contribuer à préciser les contours de ce devoir.
Arrêt de la cour de d’appel de Paris du 17 juin 2025 n°24/05193
Avocats concernés :