Décryptages
30/11/20
Force majeure et contrat : une importante précision de la Cour de cassation

Bien au-delà des seuls juristes, tous les praticiens du contrat savent à quel point la notion de force majeure a été et demeure exploitée dans le cadre de la crise sanitaire que traverse le monde.
Or, le 25 novembre dernier, la première chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt qui se rapporte à l’évidence au sujet, même si cette crise n’est pas à l’origine du litige qui y a donné lieu : Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2020, n° 19-21.060 FS-P+B+I
La question dont les hauts magistrats avaient à connaître était la suivante : le contractant qui, en raison d’un cas de force majeure, se trouve dans l’impossibilité de profiter de la prestation qui lui est due peut-il, de ce seul fait, prétendre à la résolution du contrat afin d’échapper au prix convenu ?
Non, répond la Cour de cassation : bien qu’empêché de profiter de la prestation, ce contractant doit en supporter le prix.
En l’espèce, le 15 juin 2017, un homme et une femme souscrivent un « contrat d’hébergement » auprès d’une société, pour la période du 30 septembre au 22 octobre 2017.
Le 30 septembre 2017, ils paient le prix convenu.
Le 4 octobre suivant, l’homme est hospitalisé en urgence. Il est alors contraint de mettre un terme à son séjour.
Ayant dû l’accompagner en raison de son transfert à plus de cent trente kilomètres, la femme fait de même le 8 octobre.
S’ensuit un différend dans lequel ces deux personnes invoquent la résolution du contrat, en faisant valoir qu’elles ont été empêchées de profiter des deux dernières semaines de leur séjour par suite d’un cas de force majeure.
Le tribunal d’instance saisi du litige prononce la résiliation du contrat et condamne la société au paiement d’une certaine somme, sans doute au titre de la restitution du prix pour la période postérieure au 8 octobre.
Sur pourvoi de la société, le jugement est cassé.
Rappelant les termes de l’article 1218, alinéa 1, du Code civil, tel qu’issu de la réforme du droit des obligations initiée en 2016, la Cour de cassation tire de ce texte la déduction suivante : « le créancier qui n’a pu profiter de la prestation à laquelle il avait droit ne peut obtenir la résolution du contrat en invoquant la force majeure. ».
Et d’ajouter : « En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que M. et Mme X… avaient exécuté leur obligation en s’acquittant du prix du séjour, et qu’ils avaient seulement été empêchés de profiter de la prestation dont ils étaient créanciers, le tribunal a violé le texte susvisé. ».
A première vue, l’arrêt semble condamner la perspective qui transparaissait d’une décision rendue par la première chambre civile elle-même il y a une douzaine d’années (Cass. civ. 1ère, 10 février 1998, Bull. n° 53 ; v. aussi, en faveur d’une telle solution : C. Grimaldi, La force majeure invoquée par le créancier dans l’impossibilité d’exercer son droit, D 2009, chr. p. 1298).
En réalité, sa portée mérite réflexion.
La solution ne tient pas au paiement préalable du prix de l’hébergement, car ce fait ne pouvait, à lui seul, exclure la résolution pour force majeure.
Elle repose plus vraisemblablement sur les termes de l’article 1218.
Ce texte prévoit en effet la résolution de plein droit du contrat en cas d’empêchement définitif présentant les caractères de la force majeure.
Mais il ne le fait que pour l’hypothèse où la force majeure empêche « l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Or, le fait que l’une des deux parties ne puisse pas profiter de la prestation qui lui est due par l’autre n’implique pas ipso facto que cette autre partie soit, elle, dans l’impossibilité de la fournir.
En d’autres termes, l’impossibilité, pour le créancier de la prestation (ici, les deux personnes), de profiter de celle-ci, ne signifie pas nécessairement que le débiteur de cette prestation (ici, la société), est lui-même dans l’impossibilité de l’exécuter.
Ainsi l’arrêt se comprend-il, dès lors qu’apparemment le tribunal avait prononcé la résolution au seul vu du fait que les deux personnes s’étaient trouvées dans l’impossibilité de profiter de la prestation d’hébergement.
De là à en déduire que la résolution doit être exclue toutes les fois qu’un cas de force majeure frappe directement le créancier en l’empêchant de profiter de la prestation, il y a un pas.
Il est vrai que certaines prestations peuvent s’exécuter sans véritable concours du créancier. On peut d’ailleurs se demander si, de façon sous-jacente, l’arrêt ne repose pas également sur cette idée que l’hébergeur était tenu d’une mise à disposition susceptible d’être exécutée indépendamment de l’occupation effective des lieux par ses clients (rappr. C. Grimaldi, art. préc., spéc. note 5), encore que la notion d’hébergement puisse prêter le flanc à la discussion sur ce point.
Mais il est aussi des prestations dont l’exécution ne se conçoit guère sans que le créancier en profite ou, du moins, sans qu’il les « reçoive » au sens matériel du terme (que l’on songe, par exemple, à un baptême de l’air ou de plongée, ou encore à un spectacle de fin d’année devant se tenir dans les locaux d’une entreprise).
Dans une telle configuration, si le créancier est directement victime d’un cas de force majeure qui l’empêche de recevoir la prestation (ex. : maladie, grève, sous réserve que l’événement corresponde à la définition prévue à l’article 1218), la donne est différente.
L’autre partie pourrait certes être tentée d’objecter qu’elle est étrangère au cas de force majeure, en ce sens que l’événement ne l’empêche d’exécuter que parce qu’il affecte son cocontractant.
Cependant l’article 1218 ne fait aucune distinction sur ce plan : il faut mais il suffit que le débiteur soit empêché d’exécuter par un cas de force majeure.
Si donc cette impossibilité est caractérisée, il devrait y avoir matière à résolution, peu important que l’événement frappe « en premier » le créancier de la prestation.
En somme, la difficulté mène vers le contenu précis du contrat : il convient de rechercher si l’exécution de la prestation suppose, ou non, que le créancier la reçoive matériellement.
On terminera en rappelant que les parties sont en principe libres d’aménager conventionnellement les questions relatives à la force majeure.
Elles devraient donc pouvoir convenir qu’un cas de force majeure empêchant l’exécution de la prestation convenue laissera néanmoins subsister l’obligation au paiement du prix s’il concerne directement celui à qui cette prestation est due. Ce, bien sûr, sous réserve de dispositions particulières et, notamment, de celles qui traquent le « déséquilibre significatif ».
Avocats concernés :