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17/03/20

UBER ou les frontières du salariat

La Cour de cassation a ainsi jugé, dans un arrêt du 4 mars 2020, que les chauffeurs VTC liés à Uber sont des salariés de cette entreprise même s’ils exercent leur activité sous le statut de travailleur indépendant.

Elle confirme la solution adoptée dans l’arrêt Take eat easy (Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20.079).

Dans l’arrêt Uber, la position adoptée par la Cour tient principalement sur deux arguments.

D’abord, elle conteste le caractère de travailleur indépendant résultant de l’inscription des chauffeurs au Registre des Métiers. Selon la Cour de cassation, « le statut de travailleur indépendant du chauffeur était fictif ».

Pour cela, elle démontre que la prestation de transport est entièrement organisée par Uber. Plusieurs indices en témoignent : le chauffeur ne constitue aucune clientèle propre, il ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport. Tous ces éléments étaient intégralement régis par Uber au travers de sa plateforme.

Ensuite, la juridiction juge que le chauffeur VTC est, dans ses relations avec Uber, travailleur salarié.

Pour fonder cette affirmation, la Cour se réfère à la définition classique du lien de subordination, caractéristique du salariat, qui repose sur l’existence de trois pouvoirs conférés au donneur d’ordre qualifié d’employeur : un pouvoir de direction, un pouvoir de contrôle et un pouvoir de sanction.

Le pouvoir de direction résulte du fait que la société Uber impose au chauffeur un itinéraire particulier.

Le pouvoir de sanction tient dans la faculté d’Uber de déconnecter le chauffeur de manière temporaire ou définitive de son application lorsque son comportement n’est pas conforme aux règles d’organisation que la société a fixées unilatéralement.

Le pouvoir de contrôle est nécessairement révélé, même si la Cour ne l’affirme pas expressément, par le pouvoir de sanction.

Cette décision n’est pas une exception française et à ce jour, les juridictions australiennes, espagnoles et anglaises ont statué dans le même sens.

Une telle décision emporte plusieurs conséquences :

  1. Elle offre aux travailleurs des plateformes une meilleure protection en leur assurant le respect du droit du travail et du droit de la protection sociale dans leur relation de travail avec la plateforme.

Le manque de protection sociale (couverture santé et de prévoyance) des travailleurs est d’ailleurs ce qui a été le plus souvent mis en exergue par les détracteurs des plateformes, dès lors que les travailleurs concernés ne prennent pas forcément toujours la mesure de leur statut et des démarches administratives à prendre à leur charge pour se protéger au mieux.

Pour remédier à ces lacunes, la loi du 8 août 2016, dite Loi El Khomri, avait déjà créé de nouvelles obligations en matière de « responsabilité sociale » à la charge des plateformes au profit des travailleurs sous réserve qu’il réalise un chiffre d’affaires d’au moins 13 % du PASS (articles L. 7341-1 et D. 7342-1 du Code du travail). Ces obligations sont principalement la prise en charge par la plateforme des cotisations, frais ou indemnités en matière de prévoyance et de formation professionnelle.

La loi du 24 décembre 2019 sur l’orientation des mobilités (Article 20) a, par la suite, à l’issue de débats houleux à l’assemblée nationale, créé la possibilité pour les exploitants de plateforme d’établir une charte homologuée par l’autorité administrative définissant ses droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elle est en relation.

  1. Les plateformes ne peuvent plus se positionner comme étant de simples intermédiaires entre le prestataire et le client final.

L’argumentation des plateformes, qui était de se présenter comme ne faisant que de la mise en relation entre les clients et les prestataires, sans aucune immixtion dans la relation, et donc sans aucune responsabilité dans celle-ci, est contrecarrée par la Cour de Cassation, qui considère qu’Uber, dans son mode de fonctionnement, se comporte en réalité comme l’employeur des chauffeurs VTC.

La plateforme engage donc sa responsabilité dans la relation entre le chauffeur VTC et le client final, en sa qualité d’employeur du chauffeur, contre lequel peut éventuellement se retourner le client en cas de contentieux.

  1. L’accroissement de protection offert par cet arrêt est néanmoins contrebalancé par le manque de souplesse du droit du travail français, qui s’adapte mal au modèle économique des plateformes.

On voit mal comment ces dernières pourraient conclure un CDI ou un CDD avec tous les chauffeurs qui se connectent chaque jour à cette dernière. Cette rigidité pourrait freiner le modèle des plateformes en France. Certains chauffeurs VTC souhaitent également conserver une certaine flexibilité dans l’organisation de leur travail, et ne veulent pas devenir salariés d’une ou plusieurs plateformes.

Seule la création d’un statut intermédiaire entre les travailleurs indépendants et les salariés peut permettre à une plateforme telle qu’Uber de conserver son modèle économique. Ce nouveau statut devra toutefois convenir aux travailleurs des plateformes et trouver l’équilibre souhaité par ces derniers entre meilleures protections et conservation d’une certaine indépendance.

Une réflexion a déjà été menée au sein de la division de la Législation comparée du Sénat qui a publié sur le statut des travailleurs des plateformes numériques en juillet 2019. Il en ressort que les législations qui connaissent déjà un statut intermédiaire entre les travailleurs indépendants et les salariés (Allemagne, Espagne, Royaume-Uni) ne sont pas, en l’état, compatibles avec la situation des travailleurs des plateformes. Sommes-nous à l’aube de la création d’un statut hybride, à mi-chemin entre le salarié et l’autoentrepreneur ?

Sans cette évolution, les plateformes devront probablement, en l’état actuel du droit, faire face à des actions en requalification, des contrôles Urssaf et des poursuites pénales sur le fondement du travail dissimulé.

Auteurs 

Philippe ROGEZ, Avocat Associé
Elise MIALHE, Counsel
Emeric JEANSEN, Membre du conseil scientifique

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Avocats concernés :