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25/09/23

Vers une règlementation spécifique des deepfakes ?

Le deepfake, ou hypertrucage en français, peut être défini comme « une technique de synthèse mono- ou multimédia reposant sur l’intelligence artificielle. Elle peut servir à superposer ou fusionner des images, des fichiers vidéo ou audio existants sur d’autres images ou fichiers vidéo ou audio, à créer un contenu artificiel sur une personne cible à partir du comportement d’une personne source, ou même à créer artificiellement des contenus ressemblants à partir de commandes textuelles ».

Désinformation, constitution de fausses preuves, deepfakes pornographiques, etc., le champ des usages et risques associés aux deepfakes est particulièrement vaste et relève de plusieurs régimes juridiques. En particulier, la protection de la personne ciblée par un deepfake comporte un volet civil (I) et un volet pénal (II), ce dernier ayant vocation à être renforcé par le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) en cours d’examen à l’Assemblée Nationale.

 

I. Une protection civile protéiforme

La personne victime d’un deepfake a la possibilité de mobiliser plusieurs catégories de droits au plan civil.

  • Les droits de la personnalité

La jurisprudence a développé, sur le fondement de l’article 9 du Code civil consacrant le droit à la vie privée, un droit à l’image et à la voix. Toute personne peut ainsi autoriser ou interdire l’utilisation de son image ou de sa voix par autrui. Un deepfake, même peu réaliste, est susceptible de porter atteinte au droit à l’image et/ou à la voix d’une personne puisque de simples traits et/ou des intonations peuvent être protégés dès lors qu’ils permettent d’identifier la personne. Une personne victime d’un deepfake, qu’elle n’aurait pas autorisé et qui serait identifiable, même par un nombre limité de personnes, pourrait donc agir en responsabilité civile sur le fondement de l’article 9 du code civil et obtenir réparation.

  • Le droit de la propriété intellectuelle

Les titulaires de droits de propriété intellectuelle tels que des droits d’auteur ou des droits voisins, sont susceptibles de se défendre en cas de deepfakes réalisés en violation de leurs droits. Les concepteurs d’un deepfake se doivent d’obtenir l’accord des titulaires de droits s’ils utilisent des œuvres protégées par le droit d’auteur ou les droits voisins. A titre d’illustration, si le concepteur d’un deepfake superpose une image avec une musique dont il ne possède pas les droits, il réalise alors un acte de contrefaçon. En outre, s’il y a une modification substantielle de la musique, il peut être porté atteinte au respect de l’œuvre ou bien encore à l’interprétation de l’artiste ce qui occasionne en sus une atteinte au droit moral des titulaires. Toutefois, le Code de la propriété intellectuelle prévoit des exceptions dont les concepteurs de deepfakes pourraient se prévaloir afin de se dédouaner de toute atteinte. Il pourrait s’agir de l’exception de parodie ou de courte citation. Ces exceptions sont néanmoins soumises à des conditions strictes.

  • Le droit de la protection des données personnelles

L’image ainsi que la voix d’une personne constituent des données à caractère personnel au sens du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). A ce titre, ces données bénéficient d’une protection et leur traitement doit reposer sur une base légale telle que le consentement de la personne ou bien l’intérêt légitime du responsable de traitement qui doit être justifié par la nécessité du traitement.

 

II. Une protection pénale potentiellement accrue

  • Cadre pénal actuel

Les articles 226-1 et suivants du Code pénal sanctionnent d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la captation et la diffusion d’images d’un individu sans son consentement en ce que cette capture ou cette diffusion porte atteinte à l’intimité de sa vie privée.

L’article 226-8 du Code pénal punit quant à lui d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait de publier, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention ».

  • Un renforcement des dispositions pénales

Le 5 juillet dernier, le Sénat a adopté à l’unanimité le projet de loi SREN. Ce dernier a été transmis à l’Assemblée Nationale qui l’examine depuis le 19 septembre dernier.

Les apports de ce projet sont multiples et donnent lieu à de vives discussions. Parmi eux, deux amendements déposés par le gouvernement concernent spécifiquement les deepfakes.

Le premier amendement propose d’ajouter deux alinéas à l’article 226-8 du Code pénal :

  • Le premier de ces aliénas étend la notion de montage aux deepfakes, que ceux-ci soient visuels ou sonores : « Est assimilé à l’infraction mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines le fait de publier, par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et reproduisant l’image ou les paroles d’une personne, sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un contenu généré algorithmiquement ou s’il n’en est pas expressément fait mention». L’introduction de cet alinéa permettrait de confirmer l’intuition d’une partie de la doctrine qui pressentait déjà l’application de l’article 226-8 aux deepfakes. Le critère d’ « évidence » n’est cependant pas précisé et pourrait donner lieu à des appréciations divergentes. La recommandation pourrait donc être « de préciser systématiquement cette utilisation de l’outil informatique », même si cela soulève la question de l’opportunité et des modalités d’affichages de l’information en ligne.
  • Le second alinéa a pour but de répondre à l’enjeu de « viralité » propre aux réseaux sociaux en introduisant une circonstance aggravante lorsque le deepfake a été publié sur un service de communication au public en ligne. Les peines peuvent alors être portées à deux ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende.

Le gouvernement a également proposé d’enrichir la législation relative aux deepfakes en introduisant un nouvel article 226-8-1 au Code pénal qui condamne la diffusion sans consentement du montage ou de l’hypertrucage (deepfake) d’une personne présentant un caractère sexuel : « Est puni de deux ans d’emprisonnement et de 60 000 euros d’amende le fait de publier, sans son consentement, par quelque voie que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne, et présentant un caractère sexuel. Est assimilé à l’infraction mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines le fait de publier, par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et reproduisant l’image ou les paroles d’une personne, sans son consentement, et présentant un caractère sexuel ». Un sous-amendement précisant l’article 226-8-1  prévoit également une circonstance aggravante lorsque la publication du deepfake a été réalisée au moyen d’un service de communication au public en ligne et porte les peines à trois ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende. Cet article 226-8-1 répondrait à un objectif de protection de l’ordre public et de lutte contre le sexisme, puisque 99% des deepfakes pornographiques concernent des femmes.

A noter qu’à ce jour, il n’existe pas de cadre juridique européen unifié applicable aux deepfakes, même si différents textes épars les mentionnent directement – à commencer par l’IA Act. Au vu de l’engouement suscité par le phénomène des deepfakes mais surtout des risques associés, ce mouvement devrait s’amplifier et peut-être un jour se matérialiser par une réglementation européenne spécifique, comme le recommande un récent rapport du Parlement européen.

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